Fin Mai, dans la cadre du programme du Clemi, RENVOYE SPECIAL, deux classes de de seconde OIB de Mme Massé ont rencontré Thelma, exilée en France car menacée de mort dans son pays en raison de son métier de journaliste. Une rencontre très forte et en anglais.
Rencontres avec une journaliste réfugiée en France et deux classes de 2de du lycée Duby à Aix-en-Provence, dans le cadre du programme du Clemi "Renvoyé Spécial", en association avec la maison des journalistes.
Mardi 11 mai, les premiers rayons de soleil du printemps tapent aux vitres du lycée Georges Duby, les élèves de seconde se rendent à leur cours de géographie, où les attend Mme Thelma Chikwanka, une journaliste d’origine Zimbabwéenne à l’histoire fascinante. Grâce à l’opération « Renvoyé spécial » organisée par la Maison des Journalistes et le CLEMI (Centre pour L’Education aux Médias et à l’Information), la journaliste a pu se rendre à Aix-en-Provence depuis son lieu de résidence à Paris pour rencontrer les élèves du lycée Georges Duby.
Quelques regards farouches sont échangés, un mot d’introduction est prononcé par Mme Massé, professeure d’histoire-géographie, suivie par Mme Virginie Bouthors, responsable du CLEMI académique, qui encadrent la conférence.
Un raclement de gorge. En relevant ses lunettes, Mme Thelma Chikwanka commence par évoquer quelques éléments contextuels. Le Zimbabwe, son pays d’origine, a été une colonie britannique jusqu’à ce que le peuple zimbabwéen demande son indépendance et l’obtienne en 1980. Il faut alors créer un nouveau gouvernement, et après un septennat timide de Canaan Banana dans un état politiquement instable, est nommé Robert Mugabe, qui restera au pouvoir jusqu’à l’année 2013.
Pour affirmer l’indépendance de son pays, et tenter d’effacer l’épisode de colonisation du siècle passé, il met en place une réforme agraire sans précédent. Les terres cultivées par les fermiers blancs installés pendent la colonisation leur sont confisquées, et sont attribuées aux locaux. Mais l’agriculture est une science qui s’apprend. Anciennement fort de ses rendements agricoles et fier d’être surnommé « le garde-manger de l’Afrique », le Zimbabwe est contraint de mettre fin à ses exportations massives vers les pays voisins, pour à la place engager des importations pour subvenir à ses besoins. S’ensuit un effondrement de l’économie, engendrant une inflation insoutenable de la monnaie du pays, et quand il deviendra nécessaire de se munir d’une mallette de billets de banque pour la troquer contre une miche de pain, en 2009, le dollar Zimbabwéen est définitivement aboli, et remplacé par une multitude de monnaies étrangères comme l’US dollar. Cela ne suffisant pas, le peuple Zimbabwéen doit se contenter de vulgaires bons imprimés couverts de nombres à l’échelle astronomique.
Thelma a vécu tout cela comme citoyenne de ce pays mais aussi comme journaliste. Issue d’une famille au caractère fort et petite-fille de la fondatrice du parti d’opposition à Robert Mugabe, elle a toujours connu sa vocation. Quand certains prennent les armes, elle brandit sa plume. Et non sans danger. Passionnée, elle raconte comment elle a su tenir tête au parti, comment elle a dénoncé ses injustices et sa responsabilité dans la crise économique et sociale qui ravage le pays.
Souvent elle a eu peur, quand les militaires débarquaient chez elle, la menaçaient, ou quand elle était envoyée en prison pour de courts séjours. Mais sa peur, elle ne la laissait jamais transparaitre. Jusqu’au jour où la tension devint trop forte. Un mati de 2017, où elle accompagnait son fils à l’université, elle s’envola dans le cadre de son travail pour la Suède, sans savoir qu’elle ne reviendrait pas. Débarquant sur le territoire européen, elle s’est heurtée aux démarches administratives complexes. Ayant fait une demande de visa à l’ambassade de France c’est le pays dans lequel elle doit déposer sa demande d’asile, alors que son collègue est tué, que sa famille est menacée et qu’on lui a tout pris.
Conduite en France sans parler un mot de français, commença alors la quête d’intégration. D’abord, il fallait trouver un toit : composer le 115, numéro destiné aux sans-abris chaque soir, et obtenir un lit pour une nuit, avant de remballer ses affaires le lendemain matin. Puis, obtenir un statut de réfugié, absolument nécessaire pour bénéficier de certains droits comme celui de travailler. Une procédure parfois extrêmement longue et difficile, mais qui dans le cas de Thelma Chikwanka a été rapide. Une efficacité qui est probablement due à sa notoriété au Zimbabwe. Enfin il fallait trouver un emploi, vite : on ne peut pas faire le bec fin, quelques heures de ménage sont déjà ça de gagné. Quelle humiliation pour une journaliste renommée, de s’être retrouvée agenouillée, la pelle et la balayette à la main et le nez dans la poussière !
En touchant la misère, Thelma Chikwanka a su se relever. Elle a touché le fond pour sortir plus haut. Aujourd’hui, elle raconte son expérience pour qu’elle ne soit pas vaine. Elle n’a jamais arrêté de rédiger des articles, de dénoncer des injustices, et à distance, elle garde un œil critique sur son pays. Journaliste indépendante, elle tient maintenant un blog où elle concentre ses convictions, et une multitude de nouveaux projets en lien avec l’intelligence artificielle.
Avec sa coiffe vivement colorée et ses bijoux éclatants, elle n’oubliera jamais son pays, sa force, sa famille qu’elle a dû quitter. Mais elle n’a pas dit son dernier mot !
Quand on lui demande ce qu’elle regrette le plus, elle n’a pas d’hésitation :
« - Ce que j’aurais aimé être là, quand le peuple zimbabwéen s’est insurgé en 2019 contre le gouvernement. J’aurais voulu être là pour le voir de mes propres yeux, car ce qui s’est passé est historique ! »
Mai 2021,
Baptiste Schmieder,
élève en seconde internationale britannique au lycée G.DUBY à Luynes, près d’Aix-en-Provence